Caroline Darian est la fille de Dominique et Gisèle Pelicot. Son père a fait droguer et violer sa mère par des inconnus pendant des années. Pour Darian, cette découverte signifie l’effondrement de sa famille, des souvenirs cruels et une lutte difficile pour retrouver la vie.
Le 2 novembre 2020, la vie de la Française Caroline Darian, alors âgée de 42 ans, s’effondre brutalement. Après que son père Dominique Pelicot ait été surpris en train de se mettre en jupe et dénoncé par les femmes concernées, les policiers ont découvert plus de 20 000 fichiers sur son ordinateur. Des vidéos et des images montrent comment Dominique Pelicot a drogué au fil des années sa femme Gisèle pour qu’elle puisse être violée par des hommes inconnus. Après cette révélation scandaleuse, la vie de toute la famille est bouleversée.
Environ un an après que les crimes insupportables de son père aient été révélés, sa fille a écrit un livre sous le pseudonyme de Caroline Darian : « Et je ne t’appellerai plus jamais papa » qui sera publié par Kiwi Verlag le 16 janvier. Elle utilise le pseudonyme de Darian pour reconnaître le soutien de ses frères. C’est une combinaison de leurs noms. Dans son livre, Darian décrit comment sa mère, son mari, ses frères, son fils et elle-même réagissent aux crimes de son père : avec impuissance, douleur, tristesse, peur.
« Notre histoire familiale est une véritable catastrophe », écrit Darian. « En une seconde, ma vie a été bouleversée de façon vertigineuse. » Son livre est une sorte de journal intime dans lequel elle note ce qui se passe en elle, jour après jour, pendant un an. Elle regarde souvent en arrière avec du doute : « Je ne veux pas édulcorer le fait que je n’ai rien remarqué. Mais je me sens coupable d’avoir échoué dans mon jugement. »
Ne sombrez pas dans un « naufrage familial ».
Lors de son interrogatoire, un policier lui montre des photographies d’une femme endormie, presque nue. Au début, Darian ne se reconnaît pas. Mais lorsque l’officier lui montre un grain de beauté sur sa joue droite, « ça fait un déclic. Une sensation de picotement parcourt mon corps, je vois des étoiles, des taches m’empêchent de voir clairement, il y a un bourdonnement dans mes oreilles. Je tombe à la renverse », réalise Darian. qu’elle est elle aussi victime des monstrueuses machinations de son père.
Elle n’arrive pas à dormir et a peur d’être seule. Elle s’effondre et doit se rendre aux urgences psychiatriques. Mais Darian ne veut pas prendre de sédatifs. Elle écrit que l’utilisation de pilules pour se soumettre est directement liée à son traumatisme.
« Notre naufrage familial est comparable à un labyrinthe dans lequel, pendant près de deux ans, chaque pas en avant ouvrait une nouvelle porte à d’autres sombres révélations », dit-elle après l’apparition de nouvelles photos d’elle. « Aucune femme de notre famille n’a été épargnée par mon père. » Ses belles-sœurs ont également été photographiées en secret par leur père. « Ces événements, qui scellent notre échec familial, me serrent la gorge. » Elle en est désormais sûre : elle aussi a été droguée par son père. « Je veux lever le voile qui recouvre ces années de manipulation. »
Elle regarde souvent en arrière et reconnaît des incohérences : en 2019, Darian a eu une blessure au niveau de ses parties intimes – mais les médecins qui l’ont soigné ne peuvent pas expliquer quelle en était la véritable cause. Interrogé, confronté aux images voyeuristes de sa fille endormie, le père affirme n’être attiré sexuellement ni par sa fille ni par ses belles-filles : les images parlent un autre langage. « Je ne connaîtrai probablement jamais la vérité sur ce qui me préoccupe. »
« Debout dans les ruines »
« Ma mère devra se passer de son mari, et nous trois devrons nous passer de notre père », écrit Darian. « Notre père est toujours en vie, mais nous sommes tous confrontés à un vide. » Mère, fille, belles-filles, fils et petits-enfants, ils sont tous victimes. Ils souffrent tous. « Être l’enfant de la victime et de l’agresseur est un terrible fardeau. »
Mère Gisèle emménage d’abord avec sa fille à Paris, mais après l’effondrement de sa fille, la mère décide d’emménager avec l’un de ses fils. Un psychologue qui soutient la famille estime qu’il vaut mieux que les deux ne vivent pas ensemble à ce moment-là. Cette décision blesse Darian : « Je me sens seul. »
La veille de Noël 2020, elle écrit : « Mon père a réussi à nous diviser. Il a détruit ce que j’avais de plus précieux : nous. L’équilibre des liens familiaux, mes racines. » Mère et fille atteignent à plusieurs reprises leurs limites car elles « abordent cette histoire inimaginable de manières complètement différentes ». Darian se décrit comme un livre ouvert ; elle ne peut pas cacher le désespoir, la douleur, la peur et, surtout, la colère. Sa mère Gisèle, quant à elle, est comme une reine médiévale. Tête droite, menton relevé et sans plainte, la vraie héroïne, debout dans les ruines, c’est elle. Depuis deux ans, maman s’est révélée être la grande. figure dans notre famille nucléaire. Elle était la vraie victime. Même si la mère et la fille tentent de différentes manières de faire face aux atrocités qu’elles ont endurées, elles restent soudées. « Au milieu du carnage, la main de ma mère est toujours dans la mienne. »
« Meurtrier des souvenirs »
D’une part, le livre est « une déclaration d’amour de la fille à la mère, qui a réussi à préserver sa fierté et sa vitalité dans les moments les plus défavorables », selon Kiwi Verlag. Mais le livre est aussi un récit de comptes avec son père. « Je l’aimais tellement à l’époque, avant de découvrir les choses scandaleuses qu’il avait faites », écrit la fille. « Je ne lui pardonnerai jamais ce qu’il a fait toutes ces années. »
Elle se souvient des vacances, des fêtes de famille et des situations quotidiennes avec son père et les réinterprète : « C’est le fossoyeur des familles, l’assassin des souvenirs. » Darian s’adresse souvent directement à son père : « Je ne te laisserai pas transmettre ta perversion à la génération suivante. Je t’empêcherai de faire du mal à mon fils. Je le protégerai de toi. »
Écrivez pour vous libérer
L’écriture est un moyen pour Darian d’accepter son traumatisme. « J’écris tous mes sentiments dans un cahier. Cela m’aide à prendre mes distances. L’écriture est mon point d’ancrage, ma thérapie avec laquelle je peux surmonter ce traumatisme », explique Darian. « Mon écriture (…) est une manière (…) de me détacher de mon père, de libérer mes épaules du poids de son héritage. » Le livre sera publié en France en 2022 sous le titre original : « Et j’ai arrêté de t’appeler Papa ».
Quelques mois plus tard, Darian a lancé une campagne de sensibilisation et de prévention avec le hashtag #MendorsPas (#Betäubemenicht). La campagne vise à sensibiliser aux conséquences de ce qu’on appelle « l’asservissement chimique » et à donner la parole aux victimes. La « subjugation chimique » décrit l’administration délibérée et généralement secrète de substances psychotropes sous forme de gouttes, de poudre ou de comprimés. Cela se produit sous la menace ou à l’insu de la victime afin de la rendre sans défense et incapable de commettre des crimes de toutes sortes (agressions sexuelles, enlèvements, vols et autres délits) », expliquent les traducteurs Michaela Meßner et Grit Weirauch dans une note. En médecine légale allemande, la « subjugation chimique » relève du complexe de l’administration de gouttes knock-out.
En 2023, Darian fonde l’association #MendorsPas : Stop à la soumission chimique. « Il s’agit de transformer un traumatisme personnel en lutte collective », écrit-elle. « Je veux surmonter ce terrible héritage paternel, transformer cette boue en quelque chose de noble. »
La fille est à nouveau d’accord avec la mère sur ce point. « Elle dit qu’on ne peut pas vouloir aider les victimes et en même temps avoir honte de l’être », écrit Darian. « Malgré la déception, malgré la souffrance et la haine, nous devons regarder vers l’avenir la tête haute. Je m’accroche à l’idée que ce rapport fera honte et fera changer de camp. »
La violence domestique entraîne de graves dommages psychologiques et physiques. Des conseils téléphoniques ou une aide par chat sont disponibles ici :
Téléphone victime Anneau Blanc: 116006, gratuit, du lundi au dimanche de 7h à 22h www.weisser-ring.de
Ligne d’assistance téléphonique contre la violence à l’égard des femmes: 0800 116016, gratuit, du lundi au dimanche, 24 heures sur 24 www.hilfetelefon.de
Ligne d’assistance téléphonique pour la violence contre les hommes: 0800 1239900, gratuit, du lundi au jeudi de 8h à 20h et le vendredi de 8h à 15h www.maennerhilfetelefon.de